Thérapeute en milieu rural 3/3 : de l’importance des perceptions
- Matthieu Viteau
- 8 août 2022
- 5 min de lecture
1. Quelques observations sur ce que sont les perceptions
Qu’est-ce que les perceptions[1] ? La définition sera probablement différente selon la discipline considérée – philosophie, médecine, neuroscience, psychologie, entre autres –. Elle revêt deux dimensions : d’une part, les perceptions sont l’ensemble des processus qui permettent la captation par différents récepteurs du corps (la peau, les yeux, les oreilles, etc.) de stimuli et les acheminent au cerveau, et d’autre part, ce sont l’interprétation par une personne de ces stimuli selon ses savoirs, sa mémoire, ses représentations du monde, ses attentes, ses expériences, son attention (la personne choisit délibérément[2] de concentrer sa capacité perceptive sur une chose, une personne, une situation, une sensation etc.).
Cette partie interprétative guide le comportement des personnes non seulement de manière très physique (la perception permet aux individus d’évoluer dans leur environnement physique en limitant sensiblement les accidents) mais également dans leurs relations sociales.
Un des avantages des perceptions, c’est qu’elles permettent une économie substantielle de temps et d’énergie pour agir et réagir : un individu peut choisir de laisser ses perceptions guider, voire conditionner, son comportement physique, social, intellectuel, émotionnel. De même, cette même personne peut être consciente de ses différents filtres cognitifs avec lesquels elle interprète – consciemment ou non – les stimuli qui parviennent à son cerveau. Si elle en a l’intention, cette personne peut également choisir de prendre du recul avec ses filtres, choisir de faire appel à d’autres filtres (en demandant le point de vue d’une autre personne, par exemple, en s’exposant à des idées et des sources de sens différentes des siennes, etc.). Pourquoi ? Pour lui permettre d’envisager la réalité de manière plus riche, plus diverse, et de se créer un espace de choix – cette personne se retrouve moins intensément, voire moins fréquemment, acculée à des situations binaires –. Elle peut ainsi limiter les cas où elle se trouverait à devoir faire un non-choix[3], de subir une situation.
2. Perceptions et nouveauté : le rôle des perceptions quand on découvre l’inconnu
J’étais particulièrement conscient du rôle des perceptions dans la manière dont les personnes envisageraient un « nouveau » praticien au moment de débuter ma pratique. « L’habit ne fait pas le moine », certes, mais c’est ce type de mécanisme cognitif que le cerveau a tendance à utiliser en premier pour interpréter un élément nouveau : c’est le plus rapide et le moins coûteux en énergie pour évaluer si une personne est digne de confiance. Comme les perceptions font appel à ce qui est connu, donc, prédictible, c’est un outil souvent aussi puissant que l’instinct et les réflexes. Elles permettent de se faire une idée de la qualité professionnelle d’un praticien inconnu – en somme, si il ne mettra en danger ni les informations personnelles ni l’intégrité physique comme mentale qui lui seront confiées. Le temps de la curiosité (intellectuelle), de la conversation, voire de l’audace (franchir la porte d’un cabinet pour « essayer le nouveau venu ») requièrent plus d’énergie et de temps de réflexion.
Le recourt aux perceptions « brutes » – c’est-à-dire, sans filtre ni prise de distance avec ses mécanismes de prise de décision – est probablement plus important dans des environnements sociaux où la diversité des idées, des habitudes, des groupes sociaux, etc. est moindre. Le cerveau, moins exposé à des stimuli renouvelés et variés, aurait tendance à se replier sur ce qu’il connaît de mieux. Il peut alors prédire[4] – donc limiter l’incertitude, source d’angoisse – la réponse aux interrogations que pourraient susciter les stimuli.
3. Changer les perceptions, ou apaiser les inquiétudes ?
Pendant plus de dix ans, j’ai utilisé les perceptions pour faire en sorte d’obtenir, des comportements spécifiques chez les concurrents, les adversaires, ou les clients de différents employeurs. J’ai pu mesurer la force motrice des perceptions, notamment à l’état brut, et combien il est aisé de manipuler ces mécanismes d’interprétation pour obtenir un comportement déterminé au préalable. Je me suis également rendu compte combien il peut s’avérer excessivement coûteux en temps, en énergie psychique, en argent, de changer les perceptions si ces dernières reposent sur des convictions et une vision du monde inébranlables.
C’est pour cela que l’hypnose et la sophrologie ne peuvent avoir d’effets sans le consentement conscient de la personne sur laquelle ces disciplines sont pratiquées. Une personne qui refuse consciemment les suggestions qui lui sont faites y restera imperméable et ne pourra retirer quoi que ce soit de ces outils thérapeutiques : la personne garde son libre-arbitre.
Plutôt que de changer les perceptions, j’ai réalisé qu’il était plus aisé et moins coûteux – y compris pour le praticien – de changer moi-même mes manière de faire et d’agir, ainsi que mes mots afin d’apaiser les inquiétudes qu’un nouveau praticien et de nouvelles disciplines pourraient susciter.
C’est ce que j’ai fait en débutant ma pratique dans un milieu profondément rural.
J’explique, pour rassurer, en utilisant des mots et termes compréhensibles par toutes et tous l’offre thérapeutique que je propose, tout comme certains mécanismes physiologiques, comme le rôle des hormones dans les manifestations de stress, l’activité sexuelle ou bien encore l’accroissement d’oxygène dans le sang lors des exercices de respiration.
Si certains mots sont plus familiers que d’autres (psychologie, thérapie), d’autres « connus » peuvent prêter à confusion, voire susciter la méfiance et le rejet (« psy », sophrologue, santé mentale), ne serait-ce que parce que ces mots pourraient renvoyer à des problématiques que l’on préfère nier ou minorer.
Je passe une partie certaine des consultations à dédramatiser, à expliquer (souvent par l’étymologie) et à objectiver les mots, les processus physiologiques[5]. Ce recadrage permet aux personnes de mieux comprendre ce qu’elles vivent. Elles peuvent mieux observer ce qui se passe dans leur corps, le rôle des perceptions et des émotions dans le comportement qu’elles souhaitent modifier ou adopter. Je suis régulièrement surpris par les questions qui me sont posées sur les mécanismes de fonctionnement du corps, sur l’alimentation, même.
Ces discussions sont souvent l’occasion d’améliorer les capacités d’autonomisation des clients et clientes en développant la connaissance de – ou la curiosité envers – leurs corps.
[1] Du latin perceptio : je rassemble, je reçois [2] La mise en œuvre des facultés perceptives est dont intentionnelle et non plus instinctive [3] Un non-choix est une situation dans laquelle une personne est acculée à choisir entre seulement deux propositions (« choix binaire »). La possibilité d’un choix apparaît lorsqu’au moins trois propositions sont offertes. [4] C’est le rôle du cortex cingulaire. Pour une présentation vulgarisée de l’état des recherches et découvertes sur le cortex cingulaire, voir le livre de Sébastien Bohler, « où est le sens », éd. Robert Laffon. [5] Par exemple, les larmes ne sont pas nécessairement un aveu de faiblesse, mais servent à évacuer des toxines, par exemple. Les hommes peuvent pleurer, surtout s’ils ont perdu un père ou une mère dans la semaine.
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