Être supervisé : premiers retours d’expérience
- Matthieu Viteau
- 26 avr. 2022
- 6 min de lecture
Dès le début de ma pratique psychothérapeutique et sophrologique, j’ai fait le choix de la supervision.
1. Pourquoi être supervisé ?
J’avais découvert cet usage et le sens spécifique conféré à ce mot dans ce contexte précis durant ma formation. A ce moment, j’avais été d’autant plus circonspect quant à sa pertinence que j’avais également réalisé qu’il y avait tout une économie derrière (formation à la supervision, tarifs pouvant être supérieurs à ceux des consultations thérapeutiques ou sophrologiques, avantage compétitif vis-à-vis de thérapeutes qui ne se font pas superviser, etc.)
J’ai néanmoins décidé de « jouer le jeu » d’abord pour respecter un « parcours d’installation » dans une pratique qui m’était nouvelle, me donner toutes les chances pour que cette installation se passe dans les conditions optimales, pour bénéficier éventuellement de conseils et de rappels (des « garde-fous ») sur la conduite à ne pas tenir, le vocabulaire et les formules à ne pas prononcer, les mécanismes cognitifs à ne pas avoir. J’avais envisagé également que ce serait un moyen efficace de tisser des liens avec des professionnels médicaux et paramédicaux locaux, et de ce fait, de me faire connaître.
Une telle supervision peut s’avérer ardue à observer dans un milieu rural où la population – donc l’offre de services – est faible. Ce qui peut se révéler limitant peut également être envisagé de manière constructive : je n’ai pas eu le choix, et j’ai eu une chance bienvenue. Il n’y a qu’une seule psychologue à 30 minutes de chez moi, et après un échange téléphonique qui m’a permis d’exposer ma démarche et une première rencontre physique, elle a accepté de me superviser.
Je lui en suis profondément reconnaissant.
2. Le cadre de la supervision
J’aurais pu choisir d’être supervisé « à distance » : par visioconférence, par exemple. C’est possible, et nombre de superviseurs et superviseuses le proposent. En période de COVID (je me suis établi en septembre 2021), cette modalité pouvait avoir un certain sens. Mais j’ai opté pour la supervision « physique », en tête à tête dans un cabinet. A cela, plusieurs raisons :
- Des raisons pratiques : pour qu’une supervision via internet ait lieu, il faut une connexion internet fiable ; hors dans un milieu rural, la connexion n’est pas nécessairement de qualité (infrastructures moins résilientes, les conditions atmosphériques peuvent impacter le réseau physiques, infrastructures moins performantes – la fibre optique ne sera pas posée à mon domicile avant l’été 2022 au plus tôt, par exemple).
- Pour des raisons de confidentialités et de protection des informations : ces limitations éminemment pratiques peuvent être partiellement contournées (par via le smartphone, entre autres) mais se pose alors la question de la sécurisation des données et des informations échangées. Certaines supervisions peuvent porter sur des protocoles, sur des problématiques propres aux individus, donc des données personnelles. Evidemment, la teneur des supervisions n’est pas de nature à changer la face du monde, voire mettre en danger quiconque, et les psychothérapeutes ne font vraisemblablement pas partie des cibles prioritaires pour la récupération des données, mais toute entité physique et morale détenant des données personnelles est tenu de se conformer au règlement européen sur la protection des données personnelles (GDPR). En somme : les probabilités de faire usage de propos et informations échangés en tête à tête dans un cabinet quasiment nulles.
- Pour des raisons de pertinence : une psychologue locale vit dans le contexte qui affecte les clients et clientes que je reçois. Elle est familière de l’environnement économique et social voire symbolique local, ainsi que les références culturelles et mécanismes affectifs et cognitifs des individus. Je n’ai pas l’impression qu’une supervision à distance permette cette prise en compte de la dimension réelle de cette ancrage du territoire et des humains qui y vivent.
La psychologue qui me supervise est établie depuis 20 ans, et a déjà supervisé des praticiens : bien que ce soit des facteurs que je considère gage de la qualité de ma supervision, ils n’ont pas influencé mon choix. D’une part parce que je n’avais pas le choix des praticiens superviseurs, d’autres part parce qu’elle ne m’en avait pas parlé lors de ma prise de contact téléphonique.
Je pensais que le rythme de la supervision serait mensuel : cela aurait correspondu avec ma progression dans l’aspect administratif de mon installation. En fait, là encore, je n’ai pas eu le choix : étant la seule psychologue dans un rayon de 45-50 km, elle me reçoit une fois tous les deux mois environ.
La séance dure entre 45 et 60 minutes et elle m’applique le tarif d’une consultation pour sa clientèle classique.
3. Premiers retours d’expérience
Dès le premier rendez-vous de prise de contact et de découverte mutuelle, la psychologue m’avait annoncé qu’elle me considérait comme un psychothérapeute et qu’à ce titre, elle ne porterait pas de jugement sur ma pratique ; elle se considérait davantage comme une tutrice qui m’accompagnerait essentiellement sur le développement de ma clientèle, sur l’aspect administratif de mon installation etc. Bref, sur la forme et non pas sur le fond.
En pratique, il y a un mélange – bienvenu – des deux. De fait, je ne suis pas certain que le fond puisse être dissocié de la forme : au fond, je me dois d’être congruent dans ma posture de manière à ce que les clients et clientes qui me font confiance puissent percevoir mes mots, ma voix en adéquation avec mon comportement et ma manière de vivre la réalité.
- D’un point de vue de la forme : effectivement, la supervision m’a permis de réaliser qu’il me fallait souscrire une assurance professionnelle pour moi-même (responsabilité civile) et pour le local que je loue dans une maison de santé ; la psychologue m’a également introduit et recommandé à des personnelles de santé (docteur en médecine généraliste, sage-femme), et associatifs (coordinatrice d’une association d’aide aux personnes atteintes de cancer et aux aidants) ;
- D’un point de vue du fond : la psychologue me permet d’aiguiser ma sensibilité et mon intuition vis-à-vis 1) des adolescents et adolescentes, 2) du rythme des cheminements thérapeutiques et des paliers rencontrés lors des accompagnements.
De fait, je n’envisageais de recevoir que des adultes lorsque je me suis installé ; deux mois plus tard, une jeune fille de 16 ans accompagnée de sa mère apparaissait dans le cabinet. Deux autres mois plus tard, c’est une cliente de 20 ans qui passait la porte. La supervision m’a permis de vivre ces moments de manière plus assurée et de valider mon approche (à la fois pratique et mon savoir-être).
La supervision me permet aussi de former, de modeler ma perspective professionnelle. J’envisage celle-ci comme une « formation continue » : chaque nouvel accompagnement est un enrichissement et un (r)affinement de ma pratique, mais il ne suffit pas. Je me forme à des disciplines, approches et savoirs complémentaires, et la supervision est un moyen de me tenir informé des outils utilisés et ceux en développement. La supervision est une fenêtre sur les outils avérés et fiables d’une part, et des expérimentations d’autre part. Par exemple, j’ai découvert grâce à la psychologue qu’il existait des jouets spécifiques qui créent 1) pour les enfants cet espace élargi de dialogue lorsque les mots ne sortent pas, 2) pour les thérapeutes des moyens d’appréhender les émotions, sensibilités et idées que les enfants cherchent à exprimer.
Au bout deux mois, je me suis rendu compte que deux personnes voyaient la psychologue qui me supervisait et moi-même. J’ai saisi cette opportunité pour développer une approche collaborative de ces deux accompagnements afin d’éviter des doublons, que les mêmes efforts soient demandés aux deux individus, voire que les effets obtenus par un accompagnement enrichissent ceux de l’autre. La supervision est un canal qui permet de travailler ensemble sur des problématiques communes. Comme j’utilise la sophrologie et met le corps et le souffle au cœur de ma pratique alors que la psychologue n’a pas été formée à cette approche, il y a complémentarité (avérée, d’après les retours de la patiente que nous accueillons tous les deux).
Un autre avantage que je découvre avec la supervision est l’éclairage du contexte local. Cet éclairage est d’autant plus important que la psychologue vit dans la région depuis 20 ans et, qu’étant la seule psychologue locale, elle est au contact de tous les segments de la population – ceux qui choisissent de venir la voir, à tout le moins. Elle me transmet son savoir sur les mécanismes cognitifs des gens, sur les conditions matérielles, les référentiels culturels, les attendus sociaux qui président aux décisions et aux comportements locaux.
Conclusion: La qualité de la supervision dépend de soi
Les retours que j’avais pu entendre et lire au sujet des supervisions m’avaient laissé sceptique non pas tant vis-à-vis de sa pertinence, mais quant aux modalités de la pratique. De mon expérience, il me semble que la qualité de la supervision dépend de la manière dont elle est envisagée. En gros, « on y trouve ce qu’on y apporte » - comme beaucoup de choses dans la vie. Je pense que l’approche initiale (prise de contact téléphonique et premier rendez-vous pour faire connaissance) a donné le ton de la supervision.
Incidemment, je rapproche cette forme de « supervision » du tutorat ou mentorat que l’on peut trouver en université, dans le compagnonnage, et c’est ainsi que je me suis rendu compte qu’informellement, je tenais ce rôle – à distance, cette fois-ci, donc beaucoup plus sur la forme – pour des étudiants et stagiaires qui suivent une formation en sophrologie, psychothérapie, et « développement personnel ».
Belle journée à chacune et chacun, puisse-t-elle vous être lumieuse
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